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TENTATIVE DE RÉPONSE À MARIO BENSO
© Jean Merlin - janvier 1999
 


La comparaison entre Monk et Satie est très parlante, le début pose une question : pourquoi ces deux grands artistes (et bien d'autres) n'ont-ils pas bossé jusqu'à leur mort... et la réponse apportée est : Monk était écoeuré du milieu musical,voire même peut-être un peu aigri de n'avoir pas été reconnu plus pour tout ce qu'il avait apporté.
...La réponse est un peu courte...
Le processus de création artistique est compliqué. Jean Guitton disait dans un de ses ouvrages, "Apprendre à lire et à penser" : "Chaque artiste durant toute sa vie ne dit au fond qu'une seule chose, et qu'on ne vienne pas me parler de la diversité de Victor Hugo dont l'oeuvre peut se résumer ainsi : grandeur et misère du genre humain".

En art, il faut distinguer deux choses : le concepteur et l'interprète. Parfois, les deux se confondent : c'est souvent le cas dans la peinture et la musique, plus rarement dans la danse, le théâtre et dans le cinéma... et même là, si l'on voulait être un peu méchant on pourrait dire que Gabin, n'a jamais fait que du gabin, Ventura du ventura et Audiard -dialoguiste de génie- a toujours écrit les mêmes dialogues... la preuve, c'est qu'on les reconnait au bout de trois phrases... de même que l'on reconnait Monk au bout de 3 accords.

En fait, si l'on observe, on s'aperçoit que durant sa jeunesse celui qui "Fait l'artiste", le fait en réaction à un monde auquel il n'arrive pas à s'adapter essayant par son art de répondre ou de pallier a des questions ou des évènements qui lui échappent. Il va donc mettre en place un "système" qui constitue pour lui un bouclier. Il sera acteur ou comédien : vous connaissez la différence.

Monk était acteur, il n'a jamais pu composer que du Monk et lors des concerts ou des séances d'enregistrement, il n'a fait que pousser ses sidemen au bord du précipice pour les forcer à s'aggripper et... à rester éveillés (Cf. la séance du 24.12 avec Miles Davis).

La travail de Monk a surtout été HARMONIQUE, contrairement à Bach qui était un Métriste. Bach a certes inventé et codifié la fugue qui est UN SYSTEME de canon, rien d'autre, mais il s'en est servi sans état d'âme et sans jamais plus remettre le dit système en question.
- Allez, Monsieur Jean-Sébastien, nous sommes mercredi, vous allez bien nous pisser une petite cantate pour dimanche?
- Mais bien sûr Monsieur l'Archiduc...

La démarche Monkienne est tout autre : Elle procède d'une réflexion perpétuelle sur l'enchaînement des accords, leur succession, en repoussant sans cesse les limites de l'acceptable phonique. On assiste à la création incessante de contrastes ce qui est un procédé de spectacle : Monk était un "pianiste-visuel".

Mais quarante années d'une telle pratique lui ont permis de trouver ce qu'il avait décidé de chercher et à un moment, il a dû se trouver "au point" et savoir qu'il était parvenu au but qu'il s'était fixé. Il avait atteint les limites de sa recherche et a compris qu'il ne pouvait plus que se copier lui-même. C'est à CE POINT PRÉCIS QUE L'ARTISTE HONNÊTE s'arrête. Monk n'avait que foutre de l'opinion des autres : il s'était tracé une voie royale ET SAVAIT qu'il avait raison contre tous. Alors pourquoi s'aigrir? Parce qu'il n'était pas assez reconnu? Admettons que son Ego en ait un peu souffert à un certain moment, mais , à partir de la couverture du Times, il lui devient difficile de jouer les artistes maudits dont personne ne parle... Il fait partie intégrante du paysage jazzistique. Ajoutez à celà que TOUS LES AUTRES GÉANTS SONT VENUS LE VOIR TRAVAILLER, pour piquer ce qu'il y avait à piquer et les plus grands : Davis, Coltrane, Mulligan, Gillespie ont même tenu à jouer et à enregistrer avec lui et c'est bien parce qu'ils sentaient confusément que Monk détenait des secrets qu'ils ne possédaient pas et essayaient ainsi de les percer à jour.

Quand Brel a quitté la chanson, il était reconnu comme le plus grand chanteur de son temps : personne ne pouvait passer derrière lui dans un spectacle, et pourtant RECONNU ET EN PLEINE GLOIRE, il a dit un jour "j'ai dit ce que j'avais à dire et je m'en vais."

Je me plais à penser que c'est ce qui est arrivé à Monk : Il a arrêté quand il a eu résolu tous ses problèmes et qu'il avait une solution pour chaque enchaînement. En quelque sorte, il ne pouvait plus progresser et donc le piano lui était devenu inutile :  Il le SAVAIT.
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© Jean Merlin

A lire :  Monk à Arcueil © Mario Benso, Cuadernos de Jazz

 
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