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Un inédit de Monk et ce qui s'ensuit
© Jacques Ponzio
 
J'ai depuis longtemps une attitude ambivalente face aux publications de concerts inédits, quelqu'en soit l'origine. Je passerai sur les problèmes de droits des bootlegs les plus flagrants (ce n'est pas le cas ici) pour centrer ce texte uniquement sur l'objet disque. La plupart du temps, les bootlegs ou publications de concerts inédits viennent combler les trous d'un parcours musical et/ou discographique. Pour Monk, cela va de 1941 (au Minton's) à 1976 (Newport in New York). Naturellement, le fanatique amateur/admirateur du pianiste que je suis ne saurait que se réjouir de la mise au jour de ces inédits.

Europe 1 a été en quelques années à l'origine de la publication de deux très beaux concerts donnés à Paris par le quartet de Thelonious Monk. Concerts d'autant plus appréciables qu'ils correspondent à la période la plus flamboyante de ce quartet parfaitement rôdé : l'ambiance des concerts est enthousiaste, la prise de son correcte, le pressage de qualité...

Mais alors, pourquoi cette ambivalence annoncée?

C'est que la musique n'est pas tout, il y a aussi le contexte, on dira l'emballage. Car enfin, avoir enregistré, conservé, édité, publié cette musique à laquelle je suis si attaché, et se trouver dans l'incapacité d'en fournir les coordonnées exactes, et au moins un habillage à sa mesure relève pour moi de l'incompréhensible. Souvent, ailleurs, les données factuelles sont erronées et les notes de pochette fragmentaires ou inexactes, mais ici on frise le délire.

Prenons le concert du 6 mars 1965. Un superbe double album 710377/378 publié en 1992 sous la date du 23 mai 1965. Je sais, le tir a été rectifié depuis, mais quand même. Depuis, une autre édition mélange les dates du 6 et du 7 mars sans que les titres aient changé pour autant.

Prenons alors le concert du lendemain 7 mars 1965, récemment publié. La pochette fait état d'un personnel totalement surréaliste : Jimmy Smith (orgue Hammond B3), Nathan Page (guitare), Donald Bailey (drums). Ce n'est rien.

Il signale 8 titres dont seuls 7 sont sur le CD, marquant l'absence de Satin Doll (qui semble bien être -horresco referens- celui d'Oscar Peterson dans la même série). Mais ce n'est rien encore, la musique est là.

Alors quoi? C'est le texte de François Postif qui mérite le détour : il faut s'y reporter pour en saisir tout le sel.  Voici que Postif y qualifie 'Round Midnight, l'un des plus admirables thèmes de toute l'histoire du jazz, à la si belle mélodie, aux harmonies complexes,  de "morceau... à la simplicité tellement biblique que tout amateur de jazz le fredonne sans effort". On frémit. On a raison de frémir, mais on n'a pas tout vu.

On n'a certes pas, comme le prétend Postif, imposé Gerry Mulligan à Monk : ils avaient joué ensemble à Newport dans le groupe constitué autour de Miles Davis (17 juillet 1955) et Monk avait un jour signalé à Orrin Keepnews que "Mulligan et lui étaient voisins". Postif devrait pourtant le savoir puisque cette histoire est racontée dans Blue Monk, le livre que nous avons co-signé (la fameuse "étude" dont il parle). Comment, par surcroît, imaginer un seul instant qu'on aurait pu imposer à Monk un quelconque partenaire qu'il n'eût pas souhaité? La musique qui sortira de cette session du 12 août 1957 est loin d'être négligeable et ne mérite certainement pas la condescendance appuyée de Postif.
Mulligan meets Monk Monk - Gillespie
Il est faux de prétendre que Monk ne pouvait accompagner ni Parker ni Gillespie : on a les témoignages du contraire, photos et enregistrements. Et si la collaboration de Monk avec Dizzy a cessé, ce n'est pas du tout pour une quelconque raison d'incompatibilité musicale, mais pour de bien plus triviales raisons d'intendance et d'horaires. C'est d'ailleurs la mort dans l'âme que Dizzy se résignera à remplacer Monk par John Lewis venu lui faire ses offres de service : "moi, au moins, j'arriverai à l'heure...

Et puis décidément non, François Postif, la technique de Monk, si elle est bien "surprenante", n'est certainement pas "élémentaire". Pourquoi pas rudimentaire tant qu'on y est?

J'ai gardé le meilleur pour la fin. J'aurais pu, par charité, glisser sur les explications psychologiques concernant les rapports de Thelonious avec son fils Tootie. Difficile cependant de laisser passer un tel vice du raisonnement pour les "néophytes" de l'univers monkophile. Essayons d'en dégager les grandes lignes : Monk aurait une réputation "d'ours mal léché", totalement erronée selon Postif qui en témoigne auprès de Tootie, lequel n'en croit pas ses oreilles et fait répéter Postif devant Don Sickler. Unbelievable... Et Postif d'expliquer doctement que l'attitude de Monk (père) était calculée pour éloigner les importuns de tout poil. Doit-on en conclure alors, au mépris de tous les témoignages, que Monk souhaitait tenir à distance son propre fils?

N'empêche, ces nouveautés déjà anciennes et toujours nécessaires qui sortent peu à peu des coffres suscitent chez l'amateur un vif intérêt. Mais, de grâce, messieurs de chez Europe 1, Trema, Sony..., que n'utilisez-vous les données que vous fournit Blue Monk (le livre)? On ne vous le reprochera pas...
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© Jacques Ponzio, avril 2000

A lire : les notes de pochettes de l'album Live à l'Olympia (7 mars 1965) signées François Postif

 
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