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Thelonious Monk - Live à l'Olympia - le 7 mars 1965
© Tréma / Sony - Notes de pochettes © François Postif

 
A propos de Thelonious Monk
  Avant d'entamer l'écoute de ce concert de Thelonious Monk, j'aimerais dissiper deux ou trois  malentendus sur le "personnage" qu'il fut. Tout d'abord, sa réputation d'ours mal léché. J'ai eu l'occasion de fréquenter les Monk, lui et sa femme Nellie, et je puis témoigner de sa gentillesse et de sa souriante attention. Lorsque je l'ai interviewé, en 1963, il s'est montré extrêmement coopératif et réfléchi, parsemant cette interview de beaucoup d'humour et de rires enjoués. Cette image de mauvais coucheur est cependant trés tenace - j'étais à Nice il y a une dizaine d'années, Olympia 650307
et nous avions hâte, le pianiste Henri Renaud et moi-même, de faire la connaissance du fils de Monk (prénommé lui aussi Thelonious), Henri l'avait connu tout petit, en 1954, et je préparais pour ma part une étude sur son père - comme nous lui parlions de la bonhommie souriante de Monk, son fils fut tellement étonné qu'il appela son trompettiste Don Sickler pour que nous lui répétions nos propos. Personnellement, je pense qu'il se donnait un abord rébarbatif pour éloigner les importuns et que son petit manège était savamment calculé.

   Ceci posé, beaucoup de gens s'imaginent à tort que l'univers de la musique de Monk est compliqué. Au cours de mon interview, il m'a déclaré tout de go que sa musique était facile à comprendre, et de me citer l'une de ses compositions, "Thelonious", bâtie sur une seule note. Ses deux plus fameux morceaux, "Blue Monk" et "Round Midnight" sont d'une simplicité tellement biblique que tout amateur de jazz les fredonne sans effort. Tout, dans Monk, n'est évidemment pas aussi simple, mais l'écoute régulière de sa musique finit par en assouplir les données. J'ai acheté (à la Record Shop de la rue de Moscou à Paris) vers 1953 mes premiers 78 tours Blue Note de Monk, raretés pour l'époque, et je puis affirmé que ce fut là, dans toute ma vie de collectionneur, l'un de mes meilleurs investissements. J'ai usé ces disques jusqu'à leur faire rendre l'âme. Lorsque Monk est venu se faire siffler l'année suivante au premier Festival de Jazz de Paris, à PleyeI, je devais être l'un des seuls a avoir assimilé une petite partie de sa musique.

   Je viens d'écrire que Monk s'était fait siffler à Pleyel en Juin 1954, et c'est vrai  la première partie de la soirée avait été assurée par l'orchestre de Claude Luter, extrémement populaire, et le public s'était déplacé pour entendre du Dixieland. D'autre part, par économie (Monk avait été rajouté en extra, sur la demande pressante d'Henri Renaud), on n'avait pu lui adjoindre ses musiciens habituels, et deux parisiens (Jean-Marie lngrand à la contrebasse et Jean-Louis Viale à la batterie, ce dernier légendaire ferrailleur) avaient essayé de l'accompagner avec le malheur que l'on sait. Par deux ou trois fois dans sa carrière, on a imposé à Thelonious Monk des musiciens blancs (Gerry Mulligan, Shelly Manne et Buddy Rich par exemple), et ça n'a jamais été une réussite. La musique de Monk est noire, et Monk a tenu du Minton's de 1941 jusqu'à sa mort à rester fidèle à ses origines, et à son style.

   Une autre légende qui a la vie dure, c'est celle qui consiste à dire que Monk joue "bop" (on a même été jusqu'à le surnommer "le grand prêtre du bop"!), alors que, s'il a aidé les créateurs de ce style (Parker et Gillespie, entr'autres) à développer cette expression musicale, il n'a jamais joué "bop", se contentant génialement de traverser ce courant sans jamais s'en imbiber. Ceci est tellement vrai que, mis à part une session pour Verve en 1950 où Parker l'avait invité par charité, ni Parker ni Gillespie ne l'ont choisi comme accompagnateur - ils lui devaient pourtant beaucoup - mais lui ont toujours préféré son protégé Bud Powell (que Monk enviait pour sa technique) ou Al Haig, Dodo Marmarosa, Errol Garner, Teddy Wilson, ou même King Cole, pianistes qui, bien que ne parlant pas le même langage qu'eux, s'adaptaient mieux à leurs trouvailles. D'un bout à l'autre de sa vie, Monk a obstinément joué du Monk, avec sa propre technique certainement élémentaire et souvent surprenante.

   Monk avait fini par adopter une formule standard aussi simple qu'immuable, pour le déroulement de ses concerts chaque thème était joué selon le rituel suivant : solo de ténor, de piano, de basse et de batterie et retour au thème par le quartet. de plus, d'un concert à l'autre, (et l'on pourra s'en rendre compte ici même), il reprenait, sans grande variante et avec pratiquement les mêmes minutages, quelques morceaux de ses concerts précédents. C'est un peu, je pense, cette monotonie persistante qui avait, à la longue, détourné le public parisien de ses concerts. Si, l'Olympia était plein à craquer, en 1965, pour ces deux soirées, quelques années plus tard la venue de Monk n'attirait que quelques centaines d'inconditionnels, généralement déçus.

   Monk prenait plaisir à jouer à chacun de ses concerts un ou deux morceaux en solo, souvent en rappel quelques bluettes ringardes de Broadway comme "Just A Gigolo", "I Love You, I Love You, I Love You, "Smoke gets in your eyes", ou "Don't Blame Me", qu'il imprégnait tellement de son génie qu'il les rendait monkiennes. Voilà, il ne vous reste plus qu'à pénétrer dans cet univers privilégié, géré de main de maître par l'un des quelques géants du jazz, Thelonious Monk, aussi original dans sa façon de vivre que dans sa musique, l'une étant le prolongement de l'autre, et réciproquement.
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© François Postif

A lire : Un inédit de Monk et ce qui s'ensuit © Jacques Ponzio
 
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