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La Folie Thelonious - 3ème épisode - La tête de l'emploi
© Jacques Ponzio


Il avait une tête à s’appeler Esteban (1)

Pendant les quelques années qui ont suivi la dissolution de son légendaire quartet avec Charlie Rouse au saxophone ténor (1969), Monk se fait de plus en plus rare en concert, et finit par disparaître de la scène (1976), puis du monde (1982). Depuis sa disparition, le cercle des cognoscenti s’est peu à peu développé, et s'y effectue un travail souterrain de réévaluation de son œuvre, de son influence et de sa personne. Ce travail est à multiples orientations, que ce soit ce qui concerne ses compositions, son pianisme, son rapport aux autres musiciens, au jazz en général…

Mais, au fil du temps, parmi les amateurs de jazz versés en psychopathologie une question récurrente se posait : Monk est-il fou? C'est à cette question que je voudrais apporter ma réponse, après une longue hésitation qui tenait à la fois à la nécessaire réserve du professionnel et au manque de documents susceptible d'étayer une idée, vague d'abord, de plus en plus précise dès lors que je soupçonnai l'existence du bébé mort avant sa naissance. Si je m'y suis résolu, c'est pour tenter de battre en brèche tout le fatras pseudo-psychologique dans lequel se vautrent avec délices ceux qui pensent (qui pensent ?) qu'affirmer c'est prouver.

J’y reviendrai, mais à présent, j’aimerais ouvrir une parenthèse pour faire remarquer la surprenante similitude des regards de Dalí et Monk :

dali             monk

Naturellement, j’ai choisi parmi les très nombreuses photographies de chacun celles qui pouvaient le mieux servir mon propos, et de ce fait il pourrait sembler spécieux d’en tirer une conclusion définitive. On est effectivement pas loin de la phrénologie, sans compter le point qu’il faut souligner, à savoir que jusqu’ici je n’ai jamais fait de diagnostic de psychose sur le regard, réel ou supposé, de mon patient. L’habit ne fait pas le moine, sans doute. On se souviendra de Fernand Raynaud : "Il avait une tête à vendre des lacets", tout ça pour parler de ce qu’on appelle communément "avoir la tête de l’emploi". Et puis, peut-on jurer que jamais on ne subira le charme, la répulsion, l’idée instantanée ? On ne sait jamais… encore que, je le rappelle, ce texte se place à l’enseigne du "sache toujours" monkien. Je propose donc les développements suivants à titre de récréation, comme pour en annoncer la suite.

Je remarquerai d’emblée que le type de regard extrêmement "posé" que l’on observe sur ces photos est beaucoup plus du côté de la caricature qu’un sujet fait de lui même que du "sérieux" des photomatons ordinaires. Il me semble que, chez Dalí aussi bien que chez Monk, on trouve non pas le "don" de son image, mais, pour autant qu’ils sont conscients d’être à ce moment-là photographiés, la "mise en scène", selon leurs propres critères, de leur image. Évidemment, celle-ci (l’image) peut être dérobée et en ce cas la question se posera de manière toute différente. S’il ne s’agit pas de don, alors de quoi s’agit-il? De l’imposition du regard de l’autre, de l’angle de visée. C’est-à-dire "vois moi comme je veux être vu, vois-moi selon mes présupposés, pas les tiens".

Le portrait de Van Gogh présenté ici est le plus proche que j’ai pu trouver en ce sens. Cependant il est difficile d’y mettre en évidence le même histrionisme que je repère chez les deux autres personnages, pas plus d’ailleurs que dans le portrait de Wynton Marsalis, dans un registre pourtant voisin.

marsalis   van gogh


On en tirera une conclusion au moins provisoire : Ne se met pas en scène qui veut. Il y faut une autre nécessité, celle précisément qui fait que le rapport à la folie se pose au sujet, mais pour le spectateur, pour bien lui montrer qu’en fait il s’agit "d’autre chose", autre chose qui ne serait pas absolument subi comme dans la psychose, et pas non plus vraiment assumé comme dans l’acte délibéré, entre les deux alors, mis en scène avec un sujet pris dans cette même scène. N’y aurait-il pas là au fond, la différence entre "m’as-tu vu" et "ça me regarde".

"M’as-tu vu", ça a toujours à voir avec "tu m’as bien regardé ?", quitte à en être l’inverse. D’un "m’as-tu-vu", celui qui roule des mécaniques, qui a chaîne, gourmette en or et colifichets variés, mais aussi acteur médiocre et vaniteux pour qui tout est dans l’appât-rance, on passe au "tu m’as bien regardé ?", c’est-à-dire : qu’est-ce qui te fait croire que je vais agir comme tu le souhaites, que je suis celui que tu penses voir ?

Entre ces deux interrogations : m’as–tu vu ? et : tu m’as bien regardé?, il y aurait : "Ça me regarde", c’est à moi, c’est moi au plus profond, là où je ne veux pas que tu aies accès. Et où éventuellement je n’ai pas vraiment accès non plus. Comment as-tu fait pour saisir ce que j’essaye de te montrer de moi, puisque ce que tu perçois de ce que je te montre sans vraiment le vouloir est cela précisément qu’en grande partie j’ignore de moi-même ? Arrête-toi à la surface, ne perçois que ce que je veux bien te montrer, cette apparence que je te donne et qui me protège.Ces portraits de "fous" peints à l’hôpital psychiatrique par Th. Géricault (La monomane de l'envie et Le monomane du vol (1820-1824) montrent une qualité de regard toute différente, ou plutôt une absence de regard. Ce n’est pas à dire que la personne peinte sur ces toiles très réalistes n’y voit pas mais plutôt qu’elle n’y voit pas clair alors même que tout l’art du peintre indique l’acuité. Qu’elle est toute dans son œil mais pas derrière. Autrement dit, quelle ne se voit pas voyant. Et naturellement c’est là que ça montrerait le plus…

gericault  gericault

Allez, je m’arrête là. Le mois prochain sans doute, je reprendrai le cours de mes réflexions.
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© Jacques Ponzio
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(1) Gabriel García Márquez, Le noyé le plus beau du monde in L'incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère

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